La douleur d’être encore là
Régulièrement, je reparle de nos anciens, de ma maman en institut qui ne cesse de me demander dans ses moments de lucidité pourquoi elle n’arrive pas à se tuer vu le nombre de chutes qu’elle fait chaque mois, chutes que je pense de plus en plus volontaires. J’ai dû le cœur serré lui expliquer qu’elle allait se faire mal et non s’envoler vers les étoiles. Douleur ces moments où on sait qu’elle a raison, que sa vie n’a plus ni sens, ni utilité et que pour elle, elle pèse si lourd qu’elle n’a plus d’autres choix que de subir. Lourdeur pour moi partagée entre ce lien affectif qui me fait vouloir la garder encore et la tristesse de la voir sombrer dans une démence dont elle a conscience. Indignation, une fois encore contre cette société qui ne fait rien pour nos vieux, qui leur prolonge la vie mais à quel prix ? Colère envers les dogmes, les religions qui imposent ce choix, vivre jusqu’au bout, même en souffrant, même en n’étant plus personne.
Amusement, car il faut toujours finir par du positif. Sa dernière fixation, elle devient la nuit un animal comme nous tous. Et de me dire, vu mon incrédulité et mon regard stupéfait : « ma pauvre fille, tu es bien fatiguée ! » Ben oui, je n’ai pas souvenir, moi, de me transformer en un animal, la nuit …
Cette nuit, peut-être ?
Hors mis chez les personnes gravement atteintes d’une maladie incurable douloureuse, il n’est pas prévu de subvenir aux fins de vie des personnes vieillissantes et malheureuses. C’est une grave lacune de l’organisation du soin en France.
La douleur morale qui les accable et qui nous accable ne nous est donc ainsi non épargnée.
Il n’y a que le bon sens qui peut nous garantir contre ces souffrances;
Mais en toute raison, nous leur devons à tous l’exacte vérité, ce que nous pensons au moment de leurs questions, je ne connaît que cette voie (et voix) là
Il m’est arrivé tant de fois de demander aux malades de lâcher prise… Et bien des fois cela a marché