Ce regard qui disparaît
Une fois n’est pas coutume, je vais vous parler de ce regard que je viens de croiser, vide, si vide, presque l’ombre d’un regard, presque l’ombre d’une vie. Rien ne prépare jamais à cette sensation où on se retrouve comme au bord d’un précipice tentant de tendre la main pour empêcher l’autre de tomber. Les mois passent, la maladie s’impose, pernicieusement, en douce. Ma maman disparaît cycliquement, ne laissant qu’un sourire béat interrogatif, une personne se demandant qui je suis, ce que je veux, reconnaissant des noms connus, d’autres pourtant tant aimés qui se sont effacés.
Physiquement, elle va bien. On s’occupe bien d’elle ( vu le prix, heureusement), elle a bonne mine. Bien sûr, il y a deux ans, elle gambadait sur des deux jambes. Aujourdhui, elle est dans un fauteuil et ne tient plus sa colonne.
Encore des maladies bien destructrices ! Parkinson associée à DCL, lorsque l’anéantissement du corps rencontre l’esprit.
Est-elle malheureuse ? Je ne peux même pas le dire. Elle ne le sait pas elle-même. Elle a perdu la notion du temps. Enfin, dirais-je. Une chance.
Et moi, je ressors de chaque visite avec une boule à l’estomac. Est-ce sur elle que je pleure ou sur cette mère qui ne sait plus trop ce que je fus pour elle, qui dernièrement, le temps d’un instant, m’a appelée « madame », dessinant un futur où je ne serai plus rien juste un sourire qui passe.
Ah société où on se gargarise de prolonger la vie, jurant qu’il faut encore rallonger l’âge de la retraite, car la population vieillit, mais oui, elle vieillit, mais à quel prix ?
La déserrance du regard, tu identifie bien le drame annonciateur du vide qui s’oppose à nous comme une image intérieure mais dont en fait on ne sait rien.
Je me souviens de cette époque qui tend à devenir lointaine où l’on rencontrait ce vide dans le regard des camés. C’est la même expression je crois. Je l’ai si souvent vu dans le regard des uns et des autres.
Je pense qu’il ne faut pas associer le vide à ces regards et le « rien qui nous soit appréhendable ». il s’agit d’un autre monde qui n’est pas accessible à tout autre que celui qui le vit. Il y a mille vide ainsi. Chacun le sien.
J’ai souvent eu à l’esprit que ces gens, tous, proches ou étrangers, faisaient face à cette part intrinsèque d’eux même–et de nous même donc–qui laisse sans voix, comme ahuri (c’est bien ça, hein, ce regard, l’ahurissement) face à l’indicible, cette vérité qu’on a toujours eu sous les yeux mais qu’on ne sait pas voir
Sauf à être rendu là, devant cet indicible, qu’il soit l’effet de l’aboutissement de l’âme de l’être par la voie du plus rien à devenir ou du chimiquement incorrecte
une fois n est pas coutume et cela fait tellement de bien… c’est aussi ça l’ecriture. merci pour c epartage
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