Insensible car pas de larmes ?
Voilà encore un raccourci vite fait. Je dirais même l’inverse, plus on est sensible, et plus on va se revêtir d’une armure qui va nous isoler des douleurs extérieures, et nous empêcher de pleurer. Les larmes ne sont pas nécessairement signe de sincérité. J’ai connu des personnes abusant des larmes, pleurant dès qu’elles étaient contrariées, les utilisant pour arriver à leur fin. Et d’autres, le coeur vrillé par la douleur qui n’arrivait plus à verser une seule larme parce qu’elles avaient trop pleuré.
Preuve en est le jeune enfant qui va très vite découvrir qu’en versant quelques larmes, il va obtenir la sucette tant convoitée. Certains adultes n’ont pas abandonné ce mode de fonctionnement, alors que d’autres vont réfréner leurs émotions.
Prenons l’exemple d’un deuil. Vous aurez selon les coutumes, selon l’éducation, des réactions différentes pas toujours en rapport avec la véritable peine. Je me souviens des obsèques de mon fils, je n’avais plus de larmes, j’étais comme anesthésiée, comme si la douleur avait été tellement forte qu’elle m’avait volé toute émotion. Non loin, une dame que je ne connaissais pas pleurait à chaudes larmes en faisant de grands bruits. Elle n’avait jamais croisé mon enfant, ni personne de la famille, se trouvant juste là « par relation indirecte ». Je ne dis pas qu’elle n’éprouvait pas de la peine, ce deuil l’avait peut-être ramenée à un évènement de son propre vécu. Simplement, elle l’exprimait avec plus de force, ce qui ne voulait aucunement dire plus de sensibilité.
Personnellement, j’ai été éduquée dans la retenue émotionnelle. Chez nous, on ne pleurait pas, on ne criait pas, on devait toujours restés maîtres de ses émotions. Pas simple pour une enfant emphatique comme moi, qui absorbait sans cesse les émotions des autres. J’ai donc appris à ne pas pleurer comme on apprend à lire ou écrire. C’est ainsi que face aux coups de la vie, j’ai toujours très vite tourné la page, m’évitant de penser aux coups bas ou aux trahisons afin de ne pas souffrir. Une illusion, bien sûr, mais sécurisante. Une grave erreur, car le corps, lui, ne s’y trompe pas. Il encaisse, mal, et c’est lui qui pleure de l’intérieur. Et un corps qui pleure est bien pire que des larmes qui coulent.
« Ne reportez jamais à demain les larmes que vous pouvez pleurer aujourd’hui. La haine se soulage, la peine se pleure et les échecs s’analysent et s’assument, mais ne se cachent pas. »