Cette souffrance, ta souffrance, ma souffrance.
Comme à chaque fois, j’ai franchi cette grille le ventre noué. J’étais pourtant partie très positive, forte, enfin je le pensais. Et puis j’ai croisé tes yeux bleus délavés, où je me suis enfoncée. J’ai eu l’impression de me fondre dans un vide sidéral, une absence totale de réalité. Tu m’as demandé au bout d’un moment, si long que j’ai failli me lever, si Noël était déjà passé. Comment t’expliquer une fois encore ce que je t’ai dit il y a quelques jours, que le temps n’est plus le même pour toutes deux. Comment te dire que tes cauchemars, « tes hallus » comme tu dis, ne partiront jamais, qu’elles seront présentes jusqu’à ton dernier souffle, que ce monde qui t’habite, bientôt, ne m’acceptera même plus. Ton neurologue m’avait dit que je m’habituerais. Foutaises. Bientôt quatre ans, et je ne m’y fais toujours pas. Je t’ai perdue le jour où tu t’es mise à parler « à ces autres » à tes côtés. Je me suis perdue aussi. Comme l’impression d’être sur une barque et ne plus être capable de tenir le gouvernail. Presque trois ans que tu es dans cette maison médicalisée où je tente de grappiller ce qui reste d’hier.
Par moment, tu fais preuve d’une telle lucidité que j’en suis heureuse, à d’autres instants, c’est comme si les traces de craies sur le tableau noir avaient été totalement effacées. J’en ai vécu des choses ces dernières années, des douleurs terribles, la maladie qui m’a happée, puis toi qui s’est rajoutée, toi sur qui j’avais toujours pu compter. Je n’ai plus de branche à laquelle me raccrocher. Tu as la chance de ne pas souffrir, tu le dis, je te crois, tu es juste devenue une ombre, sans projet, sans avenir, une ombre qui attend sagement la mort, malheureusement pas sereinement.
Un ami m’a dit cet automne de me protéger, j’essaie, seulement voilà, je ressens ce vide, ton regard qui ne comprend pas, qui parfois s’envole vers l’infini. Je me sens aspirée malgré moi. Je suis seulement impuissante, et je m’interroge, arrivera-t-il un jour, maman où tu ne me reconnaîtras plus ? Ou je ne serai plus rien pour toi ? Ou tu ne m’aimeras plus ?
Texte dédié à ma mère atteinte de Démence de Corps de Levy
ce jour là tu m’appelles !
Promis Etienne … merci
je me reconnais tellement dans ce que tu écris…ma maman est partie depuis qq années,elle souffrait de démence (ce mot est terrible) suite à un AVC;elle ne savait plus qui j’étais.
je suis heureuse que sa souffrance soit finie,elle ne méritait pas ça.
j’avais tant besoin d’elle, de me reconnaitre dans ses yeux.
on s’en remet mais c’est un souvenir douloureux .
auj elle est dans mon coeur , mes pensées ainsi que mon papa;ils me manquent beaucoup mais ils ne souffrent plus …et la vie continue!