C’est rare que j’aborde mon autre casquette, celle de l’enseignement, mais ces derniers temps, j’ai enviede pousser mon coup de gueule. On ne cesse de nous parler de la souffrance des élèves seulement voilà qui a envie de s’interroger sur celle des enseignants, ces planqués qui ont, eux, toutes les vacances scolaires ! Seulement quand on fait un tour sur les réseaux sociaux les veilles de rentrée, on lit des milliers de « ouf , c’est la reprise », de parents exténués après quinze jours de vacances car leur petit coeur adoré a mis le bordel dans la maison. Transposons cet angelot dans nos classes surchargées, et nous obtenons l’horreur ! Alors oui, nous les enseignants, nous allons donner toute notre énergie pour enseigner, éduquer, responsabiliser ces enfants, nous allons passer des heures, souvent debout, à aider ces jeunes à devenir des citoyens, nous allons passer du temps non compté après nos heures à l’école pour élaborer des projets, de nouvelles idées, de nouvelles stratégies pour mieux apprendre aux élèves, mais voilà, de nos jours cela ne suffit pas ! Nos élèves ont besoin de cadres, de rituels qui vont les sécuriser, seulement une fois chez eux, le cadre s’effondre.
L’éducation nationale est en crise, on nous balance tous les deux ans de nouvelles réformes, de nouveaux programmes, des fiches à remplir pour l’administration de plus en plus lourdes, et je ne parle même pas des livrets numériques, nouvelle invention. Mais de l’enseignant, qui en parle vraiment ?
Qui sait que nous n’avons pas de treizième mois, pas de comité d’entreprise, pas de chèques cadeaux pour Noël, pas de médecine du travail ( un toubib par département que l’on ne voit qu’une fois dans sa carrière). Qui sait que si on en a assez de ce travail, on n’aura pas droit ni à des formations à Pole Emploi ni le chômage ? Que contrairement aux idées reçues, on partira rarement avec une retraite complète, que nous avons une mutuelle qui ne rembourse rien, que 50% des enseignants en élémentaire n’échappent ni aux microbes ni aux gastros ni aux poux parfois, et pourtant on le plus faible taux d’absentéisme de la fonction publique ?
Qui surtout s’intéresse à l’individu derrière sa casquette d’enseignant ?
Personne ! Sur les réseaux sociaux, les enseignants se font démolir s’ils osent dire qu’ils sont fatigués !
Alors je vais vous dire, j’ai fait quinze ans de privé à douze heures par jour, et j’ai choisi l’enseignement par e que j’avais la foi, que j’y croyais et que je pensais vivre sereinement. J’y ai perdu une vie de famille, ma santé, mon énergie, et l’estime que j’avais de moi. Mes douze heures par jour étaient bien moins difficiles.
L’enseignant est seul dans sa classe avec trente élèves durant six heures, seul à gérer les problèmes de discipline, de famille, l’agression montante des parents furieux pour un manteau égaré ou une bagarre sur les heures périscolaires. L’enseignant est de service de récréation, donc n’a ni le temps de prendre une pause et parfois même pas celui d’aller aux toilettes. Quel autre boulot se retrouve ainsi coincé ?
L’enseignant n’a pas d’état d’âme, n’importe comment il n’a pas le droit d’être malade en dehors des vacances scolaires. Si il pouvait choisir aussi de prendre ses congés maternité pendant l’été, l’administration serait aux anges.
Enseignants heureux ? Les statistiques montrent qu’il n’y a plus de volontaires au concours, que 70% des enseignants seraient dépressifs, 23% font un burn out définitif … Freud disait déjà à l’époque qu’enseigner était chose impossible, il semblerait aujourd’hui que ce n’est pas enseigner qui génère une souffrance, mais cette solitude de l’enseignant face à ce milieu cloisonné où le moindre faux pas est déformé, jugé, où la moindre rumeur privée pourra être utilisée, où seules les erreurs sont regardées et non le facteur réussite. Parents, collègues, inspecteurs, tous tirent avant de juger ou de comprendre. Les enseignants ne sont plus reconnus par leurs pairs, ils doivent chaque jour avancer sur des oeufs en faisant un effort considérable pour qu’un d’eux ne s’écrase pas. Pourtant un bon enseignant travaille avec sa conviction, avec ses tripes, avec ce petit plus que n’ont pas les secrétaires dans leur bureau ou les PDG dans leur entreprise, un enseignant va fonctionner sur l’empathie, la bienveillance.
Pas d’enseignants heureux ?
Enseignante, j’ai des moments très heureux avec les élèves, ces petits riens qui font que soudain une journée se retrouve réussie, mais je reconnais qu’au bout de vingt-trois ans de carrière, je suis de plus en plus souvent en souffrance face à des comportements d’élèves impossibles à gérer seule malgré mon expérience, ces insultes, ces doigts d’honneur, cette violence m’atteint et à cela s’ajoute un découragement vis à vis de cette société qui ne cesse de « casser de l’instit », une hiérarchie qui s’en moque, »pas de vagues surtout » laissant la porte ouverte à toutes les dérives.
Alors oui, je cloisonne, je donne le maximum à mes élèves, mais de plus en plus, j’enlève ma casquette dès que je passe la grille de l’école. Je m’offre une nouvelle bouffée d’oxygène au travers de mon statut d’auteur inconnu bien sûr dans mon monde scolaire, car on m’a fait savoir il y a quelques années qu’il ne fallait pas tout mélanger.
Malgré ma nature positive, je ne suis guère optimiste sur l’avenir de l’école tant qu’une vraie reconnaissance ne sera pas accordée à tous les enseignants. On a tendance à oublier qu’une société sans instruction va direct à sa perte, alors une fois encore, au lieu de juger, un regard apaisé sur cet univers difficile spécialement en zone sensible où je travaille par choix, serait souhaitable.
Quant à moi, je compte les années, en croisant les doigts qu’un nouveau gouvernement ne recule pas l’âge de la retraite, car franchement, les enseignants épuisés, perdant la mémoire ou en déambulateur, c’est ce qui attend l’éducation de demain si on continue à ne pas prendre en compte les vraies difficultés du métier