Seule, elle était seule.
Elle avait pris ses repères dans un petit cocon. On était rassurés. Cette fichue maladie la mettait en danger. N’avait-elle pas un jour sur le bord de sa fenêtre du troisième voulu s’envoler ? Elle avait toujours rêvé d’être un oiseau. C’est libre un oiseau. Et libre elle ne l’était plus. Son corps commençait à répondre à l’envers, elle tombait souvent. Mais c’était surtout dans sa tête que tout déraillait. Elle était bien sa chambre, grande, au rez-de-chaussée, éclairée. Elle avait une salle de bain fermée et même la télé.
La résidence était entourée d’un jardin fleuri. Elle qui adorait être dehors, elle était gâtée, enfin, c’est ce que je voulais me persuader. J’ai dû prendre sur moi et dessiner un air enthousiasmé lorsque je l’ai la première fois laissée. Elle savait qu’une fois les papiers signés, il n’y aurait plus de retour possible. Elle ne finirait pas sa vie chez elle, elle ne reverrait plus son appartement où elle avait vécu tant d’années.
Elle n’a jamais su qu’une fois la grille passée, je me suis effondrée. J’avais l’impression de l’avoir abandonnée. Que faisait-elle dans cette antichambre de la mort ? Cette maison médicalisée où on avait restreint sa liberté ? Aurais-je dû la laisser risquer de se tuer seule chez elle ? L’ai-je placée pour me déculpabiliser ?
Elle s’y est habituée, mais en triant les petits papiers qu’elle avait un jour écrit, j’ai eu le coeur brisé. D’une main tremblante, d’une écriture presque illisible, elle avait griffonné en boucle le nom de sa maladie : démence de Lewy, comme si ce simple nom la rassurait, comme si elle ne devait pas l’oublier. Et puis, tout au fond, en boule, j’ai trouvé des posts it avec dessus ces mots « seule, seule » écrits de plus en plus gros, de plus en plus mal avec le temps qui passait et la maladie qui s’installait.
Malgré tout mon amour, malgré ma présence régulière, elle était seule avec sa maladie, seule avec ses cauchemars, seule malgré un personnel dévoué.
Est-ce cela vieillir ? Être seule même entourée de monde ? Être seule à supporter cette maladie ?
@texte protégé
très beau c est le sentiment exacte que j ai pour ma maman l avoir laissée seule dans cette Ephad et sa tristesse