Le placement en Ehpad
Pas facile cette démarche. J’en parle dans mon recueil.
« Placer un membre de sa famille n’est pas une décision que l’on fait le cœur léger. J’en ai rencontré des personnes culpabilisantes, condamnant sans savoir ! Ces moralisateurs ne sont capables que de rapporter des phrases toutes faites sans même prendre conscience de ce qu’ils disent. Comme si c’était simple à notre époque de tout laisser tomber pour s’occuper de ses parents quand on habite une grande ville, dans un immeuble, sans ascenseur, sans pièce supplémentaire. Comme si on pouvait lâcher du jour au lendemain un travail, comme si surtout on pouvait vivre sans un salaire ! Je me souviens d’un jeune pharmacien qui m’avait dédaigneusement lancé : « Pour ma mère, j’abandonnerais tout pour m’en occuper ! » sachant que cette dernière vivait dans une immense maison en bord de mer avec des revenus conséquents, j’ai eu bien du mal à ne pas répliquer sèchement que tout le monde n’avait pas cette chance sachant que cette dernière vivait dans une immense maison en bord de mer avec des revenus conséquents, j’ai eu bien du mal à ne pas répliquer sèchement que tout le monde n’avait pas cette chance ! Car il faut en parler, de l’argent ! C’est tabou dans notre société, seulement placer une personne en EHPAD est un luxe et que l’on ne vienne pas me parler de l’aide sociale, ce n’est pas un cadeau fait à chacun et le nombre de places octroyé est de cinq sur quatre-vingts ! Certes, lorsque vous remplissez votre dossier d’admission, on vous « vend » un coin de paradis, un service luxueux, du personnel bienveillant, des menus alléchants, des activités variées. Un hôtel de luxe. On veut y croire ! On ferme les yeux sur les défauts que l’on remarque immédiatement, ces résidents tous entassés dans l’entrée comme des paquets, ces cris, ces appels. Non, il ne faut pas croire que l’on fait ce choix sans un pincement au cœur. Et elle, dans tout ça ? On occulte la question parce qu’on ne peut faire autrement. On lui dit qu’elle sera bien, car il faut qu’elle soit bien. On lui dit qu’elle va se faire des amies sans vraiment trop y croire, car on a vite compris que l’on est juste dans l’antichambre de la mort. À chacune de mes visites, j’arrivais toujours avec le sourire même si passer la porte me serrait l’estomac. Je ne lui ai jamais montré ma tristesse, mon désarroi, j’ai toujours tout fait pour qu’elle prenne l’énergie positive que je lui apportais. Il m’a fallu tout de même plus de deux ans pour que je cesse de m’effondrer en larmes après avoir franchi la grille, deux ans à serrer les dents, à faire comme si tout allait bien, à me noyer dans ses yeux bleus qui pétillaient de moins en moins. Il y a des moments où je me suis détestée d’avoir mis ma mère dans cette maison, d’autres où j’ai haï le lieu, ne supportant pas les odeurs, cette sensation d’entrer dans un monde figé où une grande tristesse se lisait sur tous les visages Et puis, il suffit d’un changement, pour qu’un endroit lugubre prenne des couleurs d’humanité. Fini les attroupements tels des bestiaux, les insultes de certaines malades agressives. Là où durant des années, les soignants n’avaient ressemblé qu’à des robots, je découvrai des personnes distillant une phrase gentille et bienveillante. Un nouveau directeur venait d’arriver. »
Il y a des personnes qui passent, qui changent la vie de nombreuses personnes. Imed, ce directeur, fut l’une d’elles. Il est parti peu de temps après le décès de maman, écœuré du fonctionnement administratif des Ehpad. Une grande perte pour ceux qui restaient … une belle âme.
Je serai éternellement reconnaissante de sa gentillesse qui m’a permis de ne pas couler.
Car le placement en Ehpad est difficile, autant pour le malade que pour l’aidant !