Les mots qui tuent
Les mots peuvent faire mal, invisibles, tout aussi violents qu’une grenade dégoupillée. Les mots peuvent tuer. Écoutant d’une oreille les informations, j’ai sursauté en entendant les mots cinglants du successeur du juge Lambert, mots qui ont hanté cet homme toute sa vie jusqu’à le conduire au suicide. Quel besoin l’humain a-t-il donc d’enfoncer ainsi le couteau dans une plaie qui saigne ?
Enseignante, je suis très vigilante à ces phrases parfois assassines que se lancent mes élèves, jeu au départ, violence à l’arrivée. Aujourdhui, les insultes sont souvent devenues monnaie courante, lancées avec humour, mais se demande-t-on si celui à qui elles sont destinées est prêt à les accepter ? Si ce sourire sur son visage n’est pas un peu crispé ?
Ces mots pointent souvent avec intelligence nos failles, nos faiblesses, nos hontes cachées. Dénigrer avec humour une personne qui rougit, une autre qui est chauve peut s’avérer blessant, nul ne choisit volontairement de perdre ses cheveux, montrer du doigt un surpoids n’est pas non plus anodin.
Face aux attaques, beaucoup disparaissent dans leur coquille, tandis que d’autres à l’inverse sortent leurs griffes, rétorquant plus fort, cinglant avec plus de violence, bloquant ainsi toute communication intelligente.
À une époque, je pensais naïvement que seule la victime était à plaindre, que l’autre devait être celui qui s’excuse, qui tend la main. Il est évident qu’avec une telle pensée, je pouvais attendre des siècles un signe, et à trop attendre, il est ensuite souvent trop tard. La vie m’a fait prendre conscience que sans nous en rendre compte, nous rendons les coups, blessant tout aussi fort, frappant les points faibles, pire au final que le coup envoyé. De victimes, nous devenons nous aussi bourreaux. Et cette situation peut s’enliser des années, car s’ajoute une pincée d’orgueil, une cuillère de certitude.
Un cercle vicieux s’installe.
Afin d’éviter qu’une situation se dégrade, il faut apprendre à gérer sa colère quitte à disparaitre un temps, à s’éloigner pour éviter de souffrir, mais éviter aussi de faire du mal à l’autre.
Lorsque nous nous sentons attaqués, lorsque nous sommes blessés, notre moyen de défense seront nos mots. Nous voulons faire du mal à l’autre autant que nous avons mal, alors nous frappons fort, même si après nous regrettons.
C’est à ce moment précis que nous devrions nous excuser, mais c’est impossible, car nous avons si mal que nous sommes figés sur place, et puis nous avons peur de ce que l’autre dira ou fera. On se retrouve bloqués dans une impasse avec ces mots que l’on voudrait effacer, ceux que l’on voudrait dire et qui restent bloqués.
Ne laissons pas les mots nous tuer !
Avec le temps, car si on le veut vraiment, le temps efface les mots, on réagit, on décide de se servir de cette souffrance, de ces mots qui blessent, on les réécrit autrement, et un jour, on se réveille, et on s’aperçoit que ces mots peuvent aider à cicatriser. Alors, oui, on reconnaît qu’on est désolés, même s’il est trop tard et que l’autre ne veut pas ou n’est plus là pour l’entendre, même si la blessure date de plusieurs années. On se libère des Mots .